Dallas : du pétrole et des idées

Depuis des années, Dallas se construit un nouveau paysage urbain, financé par de riches philanthropes et façonné par de grands noms de l’architecture contemporaine : Pei, Foster, Piano, Koolhaas, Calatrava ou Wilmotte. Welcome to Big D !

Pas facile pour une ville comme Dallas de surmonter le poids de l’histoire et les clichés qui lui collent à la peau : d’abord mise au ban et traumatisée après l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy sur Dealey Plaza le 22 novembre 1963, elle est ensuite caricaturée dans la série TV Dallas qui dépeint l’univers impitoyable de magnats du pétrole, dans les années 1980. Ajoutez à cela l’image un peu grotesque du texan en cow-boy rustre et l’on mesure le chemin qu’il a fallu à Dallas pour redorer son blason.

A Dallas, prospérité et générosité font bon ménage : les riches industriels locaux, dont une vingtaine de milliardaires recensés, n‘hésitent pas à dépenser des millions de dollars pour améliorer leur ville. A une condition, toutefois : que les équipements qu’ils sponsorisent portent leur nom. Exemple parmi d’autres, le pont Margaret Hunt Hill, œuvre tout en acier blanc de Santiago Calatrava, a été baptisé en l’honneur d’une riche héritière. Inauguré en 2012, il a donné le coup d’envoi à un projet de revitalisation de la Trinity River qui prévoit, à terme, plusieurs ponts dessinés par Calatrava et un nouvel espace vert sur les berges qui devrait représenter dix fois la superficie de Central Park à New York !

« A Dallas, on est vraiment au Texas, au milieu du désert, constate l’architecte français Jean-Michel Wilmotte, qui a signé la tour d’habitation Bleu Ciel dans le quartier de Harwood. Il n’y a pas de problème d’espace, la ville peut s’agrandir comme elle veut… et elle en a les moyens financiers. Elle est bien structurée avec le Downtown et les quartiers autour. Très agréable aussi : on commence à s’y promener à pied, un peu comme à Chicago dans les parcs, les jardins, autour des lacs. »

L’emblème de la nouvelle image de Dallas s’appelle le Arts District : l’un des plus grands quartiers dédiés à l’art et à la culture des Etats-Unis. Il regroupe plusieurs musées et salles de spectacles qui sont autant de curiosités architecturales. Le tout a coûté la bagatelle d’un milliard de dollars, essentiellement à des mécènes privés. Le prix à payer pour faire intervenir pas moins de cinq Prix Pritzker : Pei, Renzo Piano, Norman Foster, Rem Koolhaas et Thom Mayne. Un record dans un si petit périmètre et au passage, une belle démonstration de l’art comme moteur pour l’architecture. « Les grosses fortunes ont besoin d’exister. L’art est un moyen parfait pour elles de sortir du lot. Puis elles s’offrent un beau musée signé d’un grand architecte », résume Jean-Michel Wilmotte.

Dans le Arts District, Pei, qui compte à lui seul cinq réalisations à Dallas, a conçu avec l’acousticien Russel Johnson le Meyerson Symphony Center, un lieu au design minimaliste qui héberge l’orchestre symphonique de Dallas. Son voisin, le AT&T Performing Arts Center, abrite deux espaces artistiques, l’un face à l’autre : le Margot and Bill Winspear Opera House dessiné par Norman Foster, reconnaissable à sa couleur rouge et ses fenêtres coulissantes, et le Dee and Charles Wyly Theatre de Rem Koolhaas et Joshua Prince-Ramus, avec ses tuyaux en alu qui rappellent ceux d’un orgue. Entre les deux, le Elaine D. and Charles A. Sammons Park est un jardin public réalisé par le Français Michel Desvigne. Il est complété par un bar avec une terrasse extérieure de laquelle on peut voir simultanément et sans bouger de sa chaise les réalisations de trois prix Pritzker ! A 200 mètres de là, le Nasher Sculpture Center répartit ses œuvres entre un bâtiment de 5 000 m2 signé Renzo Piano et un vaste jardin aménagé par l’architecte-paysagiste Peter Walker (qui est intervenu sur le chantier du memorial de Ground Zero à New York).

Juste derrière, le Klyde Warren Park ressemble à une oasis de verdure en pleine jungle urbaine. Comment imaginer qu’une autoroute à huit voies passe juste en-dessous ? Plus récemment encore, Thom Mayne a conçu le Perot Museum of Nature and Science, symbole parfait de l’esprit philanthropique qui règne à Dallas : la collecte de fonds d’un montant de 185 millions de dollars a été bouclée un an avant l’ouverture officielle ! Pas un dollar d’argent public dépensé, zéro dette, qui dit mieux ?

Contre toute attente, le plus étonnant joyau architectural de Dallas n’est peut-être pas un gratte-ciel dernier cri, mais le site de Fair Park, inauguré en 1936 pour l’Exposition du centenaire de l’indépendance du Texas : un ensemble Art déco exceptionnel, l’un des plus grands et des mieux préservés du monde. Le projet de Fair Park a été livré en seulement quatorze mois par une équipe d’architectes menée par George L. Dahl, autodidacte et visionnaire, qui fut le premier à utiliser un matériau qui a fait ses preuves ensuite, le béton armé. Mais il est surtout connu comme « l’architecte de Detroit », grâce à ses multiples projets très éclectiques dans la « Motor City » et dans l’industrie automobile en particulier.

Certes, l’architecture à Dallas n’a pas l’histoire et le prestige de celle de Detroit, encore moins de Chicago, mais elle est devenue une priorité pour les élites, la condition d’un avenir encore meilleur et d’une image enfin positive. « Il y a sans cesse des nouvelles constructions et des aménagements urbains à Dallas, se réjouit le Français Olivier Meslay, qui a passé plusieurs années à la direction du Dallas Museum of Art. J’ai l’impression d’être à Paris au temps d’Haussmann ! »

Les petits trucs en +… et en moins

Le + : un patrimoine architectural et artistique bluffant et pourtant très peu connu.

Le – : euh, c’est normal de ne croiser personne ou presque dans le Arts District et dans Fair Park ?

www.visitdallas.com

Photos : DCVB

Texte reformaté pour le web – Parution initiale dans IDEAT, 2015.